Cyril Giraud : « Les périodes de crise peuvent aussi ouvrir de nouvelles opportunités »
5 questions à Cyril Giraud, Vice-Président Minéraux de Performance APAC et membre du Comité Exécutif d’Imerys.
Cyril a rejoint Imerys en 1998, après un début de carrière dans le capital risque. Il occupe d’abord différents postes en Stratégie & Développement, Finance & Contrôle et Gestion de projets, sur plusieurs marchés en Europe et en Asie. En 2014, Cyril devient Directeur Général de la division Carbonates en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Il est nommé Vice-Président de la Business Area (Domaine d’Activité) Minéraux de Performance APAC (Asie-Pacifique) en novembre 2018 et est basé à Shanghai depuis janvier 2019.
1. Comment avez-vous géré la crise de la Covid-19 pour vos zones géographiques ?
Dans un premier temps, nous avons rapidement mis en place plusieurs comités de crise afin de gérer la situation au fur et à mesure de son évolution. Le premier s’est tenu au niveau national en Chine et en présence de toutes les Business Areas d’Imerys exposées au marché chinois (Réfractaires, Abrasifs & Construction, Minéraux de Performance APAC et Solutions Haute Température). Lorsque la crise a commencé à s’étendre au-delà de la Chine, j’ai décidé de recréer ce comité au niveau de la Business Area pour assurer la continuité des opérations ainsi que le suivi et le partage des informations.
Il était essentiel de recueillir des feedbacks pertinents et de tenir compte de diverses données telles que la capacité de production, les besoins des clients et les mesures gouvernementales pour prendre rapidement les bonnes décisions.
Notre priorité a toujours été de garantir la sécurité de nos équipes et d’éviter la propagation du virus sur l’ensemble de nos 35 sites. Nous avons donc mis en place diverses procédures de sensibilisation et de surveillance afin de minimiser le risque de contamination. Jusqu’à présent, nous n’avons eu aucun cas de Covid-19 au sein de notre Business Area, ce qui représente une grande victoire pour nous !
Enfin, étant basé à Shanghai, j’ai également pu partager mon expérience du terrain avec les autres membres du Comité Exécutif.
2. Quelle est la spécificité de votre Business Area et comment est-elle gérée dans la situation exceptionnelle de l’épidémie de Covid-19 ?
Compte tenu de notre implantation géographique, nous avons ressenti les effets de la crise par vagues. La Chine représente environ 20 % de notre activité, nous avons donc été touchés pour la première fois à la mi-janvier. Le reste de l’activité a subi l’impact plus tard, en particulier en Malaisie, en Inde et en Nouvelle-Zélande. Nos activités Graphite & Carbone basées en Europe (notamment en Suisse) et au Canada ont été affectées un peu après. Cet étalement dans le temps nous a permis d’anticiper dans une certaine mesure ce qui allait se passer, grâce au retour d’expérience de nos responsables d’usine et de nos collègues chinois, qui ont rapidement partagé leurs bonnes pratiques.
3. Quels sont les impacts sur vos marchés ?
La crise a touché tous nos principaux marchés, en particulier certains de nos marchés finaux tels que la céramique ou l’automobile. Le marché automobile chinois a diminué de 50 % au premier trimestre 2020 par rapport à 2019. Cela a eu des répercussions négatives sur nos ventes, notamment aux fabricants de plastiques pour l’industrie automobile ou de batteries Li-ion (secteur pour lequel nous sommes le premier fournisseur de graphite et de noir de carbone).
Nous avons également ressenti un impact géographique, du fait d’un important ralentissement de l’économie locale dans les pays ayant subi un confinement très strict. C’est le cas par exemple de l’Inde, où nos 10 usines sont restées fermées pendant plusieurs semaines. En ce moment même, certaines de ces usines sont encore inactives, en attendant que nos clients reprennent leur propre production.
En revanche, nous avons enregistré une forte demande pour certains de nos produits, indispensables à la fabrication d’articles essentiels tels que des gants en latex ou des blouses de protection. Dans de nombreux cas, le maintien de nos opérations nous a permis de servir nos clients tout en participant à la lutte contre la Covid-19. Cette production d’urgence a dans une certaine mesure compensé les effets négatifs observés sur d’autres marchés et illustre bien comment l’exposition d’Imerys à de multiples marchés finaux nous permet d’être résilients même dans les moments difficiles.
4. Quelles seront les conséquences de cette crise sans précédent ?
Je vois cette crise comme une opportunité de nous ouvrir à de nouvelles façons de travailler. Nous avons prouvé qu’il était possible de s’adapter pour pouvoir continuer à fonctionner, grâce à la mise en place du télétravail ou de protocoles appropriés dans les usines. La plupart de nos employés ont été affectés d’une manière ou d’une autre, souvent aussi bien dans leur vie personnelle que professionnelle, et dans l’ensemble, ils se sont extrêmement bien adaptés. À titre personnel, j’ai vécu un confinement strict et un isolement complet pendant 2 semaines dans un centre de confinement chinois à cause de la présence d’une personne infectée par le virus sur mon vol de retour vers la Chine...
Une conséquence importante est la nécessité de travailler activement pour préserver autant que possible notre rentabilité et notre trésorerie. Ce facteur sera déterminant si nous voulons sortir rapidement et efficacement de la crise. Nous travaillons avec toutes nos équipes, dans les usines et dans les bureaux, afin de définir et mettre en œuvre les actions nécessaires pour atteindre cet objectif.
Cette crise nous oblige également à reconsidérer l’éventail des possibilités et notre façon d’aborder l’avenir.
Nous savons maintenant que les choses peuvent changer radicalement sur le plan de l’activité économique. À l’avenir, nos critères pour les décisions d’investissement prendront en compte de nouveaux paramètres — je fais ici référence au débat sur les chaînes d’approvisionnement qui est en train d’émerger suite à cette crise. La région APAC sera principalement concernée, car il s’agit d’un pôle stratégique pour l’externalisation de la production. Nous voyons déjà certains clients envisager un changement d’approche en Asie afin de réduire leurs risques logistiques.
De plus, de nouvelles opportunités s’offriront à nous grâce au développement de l’attractivité de certains marchés, en particulier le marché de la santé. La flambée de la demande que j’ai mentionnée précédemment concernant les gants en latex et les vêtements médicaux pourrait ainsi devenir une tendance structurelle.
5. Quelles sont les perspectives d’avenir pour votre Business Area ?
Certains signes indiquent que nous pourrions être au « début de la fin » de la crise. Quelques sites restent fermés et certains marchés ne montrent pas de bonnes perspectives, les clients concernés étant toujours confrontés à des difficultés. Cependant, la situation est plus stable et la panique s’estompe. D’une manière générale, je pense que nous sortirons de la crise région par région : d’abord l’Asie et l’Océanie, puis l’Europe et enfin les États-Unis. La reprise sera progressive.
Comme vous le savez, nous commençons à voir un retour à la normale en Chine, ce qui est prometteur pour la reprise. Des doutes subsistent cependant au sujet des exportations, dont dépend une partie de l’activité chinoise. Actuellement, l’un de nos marchés les plus touchés est la céramique, en particulier parce que les exportations vers l’Europe diminuent. Ainsi, bien que l’on observe effectivement un rebond partiel en Chine, celui-ci est loin de compenser le ralentissement initial, et d’autres pays comme l’Inde ou le Japon ne montrent pas encore la même dynamique.
Plus généralement, la situation me paraît comme une bonne occasion de revoir nos priorités stratégiques pour renforcer notre croissance dans les années à venir. Nous devons être prêts à identifier et à saisir les opportunités (à la fois commerciales et industrielles) dans ce nouveau contexte.
Quelques mots pour conclure
Cette crise nous a permis de tisser un lien plus fort avec certains de nos clients. Ensemble, nous affrontons ces moments difficiles, en faisant de notre mieux pour leur apporter des solutions et éviter les ruptures d’approvisionnement. Ces liens ouvriront de nouvelles portes à l’avenir, car les clients se souviendront de la façon dont nous les avons soutenus.
Malgré la contrainte du travail à distance, nous avons maintenu notre cohésion interne et nos équipes collaborent toujours avec succès. Je tiens à remercier tous nos collègues qui ont une fois de plus démontré non seulement leur incroyable sens des responsabilités, mais aussi leur empathie les uns envers les autres !